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© Richard Olvera

L’air, l’eau, et maintenant le sol. Après les abeilles, les oiseaux, les amphibiens, c’est au tour des organismes souterrains de venir grossir les rangs des victimes collatérales des pesticides.

C’est ce que montre une vaste méta-analyse parue dans la revue Fron­tiers in Envi­ron­men­tal Science.

 

Vers de terre, cloportes, mille-pattes, collem­bo­les… les inver­té­brés des profon­deurs sont consti­tu­tifs du sol. Garants de sa bonne santé, leur rôle est gigan­tesque : ils assurent le cycle des nutri­ments, la trans­for­ma­tion du carbone ou encore la régu­la­tion des rava­geurs et des mala­dies. Un équi­libre aujour­d’hui rompu par les assauts dévas­ta­teur de l’agri­cul­ture indus­trielle. La mono­cul­ture, le labour profond et les produits phyto­sa­ni­taires appau­vrissent les terres, les vident de leurs occu­pants. Ceux qui restent s’en trouvent lour­de­ment affec­tés.

Pour le démon­trer, les scien­ti­fiques ont recensé pas moins de 400 études menées en labo­ra­toire et sur le terrain. Elles se penchent toutes sur les effets des pesti­cides sur les inver­té­brés (non ciblées par les produits) vivant au moins partiel­le­ment dans le sol. 275 espèces ont fait l’objet de mesures d’im­pacts, lesquels portent aussi bien sur la morta­lité que l’abon­dance, le compor­te­ment, les chan­ge­ments biochi­miques, morpho­lo­giques etc.

Résul­tat ? Plus de deux tiers des impacts se sont avérés délé­tères, un tiers neutres et 1% posi­tifs. Un exemple éloquent : les vers de terre. Les études de terrain sur les lombri­ci­dés et leurs proches cousins, les oligo­chètes, de minus­cules vers blancs ou trans­lu­cides abon­dants dans les sols riches, montrent que la morta­lité augmente pour 14 des 18 para­mètres étudiés en présence de pesti­cides !

Cette vaste étude apporte deux ensei­gne­ments. 

Un : comme on pouvait s’y attendre, les pesti­cides sont nocifs pour des orga­nismes non ciblés. Tous les pesti­cides. Il n’est pas ques­tion d’une ou de deux molé­cules : les résul­tats de l’ana­lyse reposent sur 284 pesti­cides auto­ri­sés aux Etats-Unis. Et cela ne se limite pas aux insec­ti­cides : les fongi­cides, notam­ment, se révèlent tout aussi destruc­teurs vis-à-vis des inver­té­brés. « les vers de terre, les cloportes, les mille-pattes et les collem­boles se nour­rissent en grande partie de cham­pi­gnons sur la matière végé­tale en décom­po­si­tion » rappellent les auteurs.

Isoto­mu­rus palus­tris, le collem­bole des marais, est une espèce de collem­bole

Deux : Les produits phyto­sa­ni­taires s’at­taquent à des écosys­tèmes entiers. Des bacté­ries aux abeilles qui nichent dans le sol – égale­ment étudiées dans l’ana­lyse -, ils affectent jusqu’à la vie micro­bienne, tel que rapporté dans une précé­dente étude [1]. C’est le cas des néoni­co­ti­noïdes, insec­ti­cides célèbres rebap­ti­sés « tueurs d’abeilles », qui ont des impacts délé­tères sur la plupart des orga­nismes, des microbes aux mammi­fères [2], en passant par les insectes.

 

Comme le déplorent les auteurs, cette faune est « rare­ment prise en compte lors de l’éva­lua­tion de l’im­pact envi­ron­ne­men­tal des pesti­cides ». « Les États-Unis, par exemple, testent unique­ment les produits chimiques sur les abeilles, qui ne peuvent jamais entrer en contact avec le sol. » En Europe la situa­tion est plus satis­fai­sante, puisque l’ho­mo­lo­ga­tion néces­site des études écotoxi­co­lo­gique sur une espèce de ver de terre ( Eise­nia fetida ou Eise­nia andrei ), de collem­bole ( Folso­mia candida ), d’aca­rien ( Hypo­as­pis aculei­fer ) et même sur l’ac­ti­vité micro­bienne. De réelles avan­cées, bien qu’il existe de nombreuses failles dans les proces­sus d’éva­lua­tion comme le dénoncent certaines ONG (ex Géné­ra­tions futures [3]).

Le renfor­ce­ment des contrôles se justi­fie d’au­tant plus que la réalité du phéno­mène est proba­ble­ment bien plus inquié­tante. « Les études évaluant les effets des pesti­cides utilisent souvent une gamme restreinte d’es­pèces faciles à élever, à iden­ti­fier ou à étudier, tandis que les orga­nismes plus petits et plus discrets sont rare­ment analy­sés […] nous avons une connais­sance limi­tée de l’éten­due des dommages causés par les pesti­cides » admettent les scien­ti­fiques. Sachant qu’une poignée de sol en bonne santé contient envi­ron 10 à 100 millions d’or­ga­nismes appar­te­nant à plus de 5 000 taxons [4], dont seul un petit pour­cen­tage a été décrit [5], le travail reste immense pour connaître et proté­ger cette biodi­ver­sité.

A l’heure où la PAC est en cours de rené­go­cia­tion dans les diffé­rents pays de l’Union Euro­péenne, cette nouvelle charge portée à l’en­contre des pesti­cides devrait nour­rir le débat.

 

Accé­der à la publi­ca­tion en libre accès.

[1] Puglisi 2012

[2] Pisa et al. 2015 Envi­ron Sci Pollut Res

[3] Pesti­cides : des évalua­tions euro­péennes incom­plètes qui vont à l’en­contre de la légis­la­tion! géné­ra­tions futures.pdf

[4] Rami­rez et al., 2015

[5] Adams et Wall, 2000

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